Ne jamais mélanger le feu et la magie. Son maître Nihil Fugacious l'avait pourtant bien prévenu ! Mais Conny a voulu se livrer à des expériences explosives et celles-ci se révèlent désastreuses. Il est aussitôt banni de Wellmet au moment où s'abat sur la cité un nouveau danger au visage inhumain : les maléfiques Ombres.
Puisque, de toute évidence, vous refusez - ou êtes incapables - de comprendre ce qui s'est passé quand la maison de Rabat-Jour a été détruite, je vais vous l'expliquer, une fois encore.
Traduction magique
Lisez bien ceci, magistères. Sinon vous êtes encore plus idiots que je le pensais.
Quand vous avez pris Conny comme apprenti l'an dernier, j'ai pensé que vous faisiez une bonne action en arrachant ce garçon aux rues du Crépuscule. Maintenant, je n'en suis plus aussi sûr.
Si je voulais exécuter d'autres expériences, j'aurais besoin de nouveaux matériaux ; cela signifiait que je devais trouver dans le quartier du Crépuscule une personne susceptible de m'en vendre. Il me fallait donc de l'argent.
Bourdon a raison. Les idées du garçon sur la magie sont choquantes. Mais si Conny se montre parfois stupide, ce n'est pas le cas dès qu'il s'agit de magie.
Ce coin du Crépuscule était relativement sûr, mais inutile de rester plantés là comme si on attendait que quelqu'un vienne nous faire les poches. J'entraînai Sorbia dans une ruelle, tournai au coin et... je sentis une main se glisser dans ma poche !
Un garçon qui paraissait un peu plus âgé que Sorbia était perché sur un tabouret devant l'établi. Mince, avec des cheveux noirs, il était maculé de suie et ses jambes, maigres comme des baguettes, pendaient dans le vide.
Des sbires de Corneil. Zut ! Était-il revenu ? Avait-il envoyé ses brutes à ma recherche ? Alors que les deux individus se rapprochaient, je me plaquai au mur et posai sur le sol les sacs de toile qui contenaient les ingrédients pour fabriquer de la poudre.
Nous devions nous rendre dans les ruines de la maison de Rabat-Jour. Et nous devions retrouver ce gamin des rues. S'il ressemblait à ce que j'étais du temps où j'exerçais la coupable activité de pickpocket, il devait avoir ses coins préférés.
Me voilà de retour à la maison après la réunion. Benet m'a annoncé que le garçon et la fille de la duchesse étaient partis quelque part. Il commence à faire noir. Inquiet, je maudis ce garçon. Apparemment, ces rôdeurs agissent dans l'obscurité.
Traduction magique
Note : dire au garçon d'être prudent quand il se rend dans le Crépuscule.
Au moment où je me redressais, j'entendis le murmure du vent sur les pavés. Une Ombre semblable à une étoffe noire déchirée me frôla à toute allure. Instinctivement, je me baissai et me retournai, dans un même mouvement.
Je n'étais pas un chat, mais un oiseau noir ! L'embero n'était pas censé fonctionner de cette façon. Je tournai la tête sur le côté pour mieux voir, un œil après l'autre. Le sort m'avait transformé en connwaer, une sorte de corbeau, avec des plumes et une crête noires, tout ébouriffé, et des yeux d'un bleu éclatant.
Nihil avait raison de s'inquiéter au sujet de cette réunion. Le capitaine Kerrn était là, l'air féroce, à côté de la duchesse. En me voyant entrer dans la salle à la suite de Nihil, les magistères déclarèrent que je n'avais pas le droit de me trouver ici.
Indice intéressant concernant les Ombres. Le garçon a trouvé de la poussière noire dans les poches du manteau que portrait le gamin des rues quand il a été tué.
Je savais comment faire pour percer ce mystère. Si la magie pouvait s'adresser à moi pendant une explosion pyrotechnique, peut-être que je pourrais lui parler, moi aussi. Je prononcerais des mots magiques et elle saurait que j'essayais de l'aider, même si elle ne me comprenait pas.
Une bougie était tombée par terre, mais elle continuait à se consumer. C'est dans cette lueur tremblante que je découvris une Ombre penchée au dessus de la duchesse, allongée en travers de son lit, les bras pendants, inertes.
Desh ? Oh, comment avais-je pu être aussi idiot ? La formule magique. Elle contenait ce nom ! La magie connaissait l'existence des Ombres et savait d'où elles venaient. Mais j'avais été trop stupide pour le comprendre.
Nihil était là, assis près d'un lit, le visage enfoui dans les mains. Trammel se tenait à ses côtés ; un grimoire dans une main, sa locus magicalicus dans l'autre, il récitait un sort de guérison.
À mesure que je m'éloignais de Wellmet, je sentis la magie se dissiper. C'était comme laisser derrière soi un bon feu. Et tandis que la magie se faisait plus lointaine, la pluie devenait plus froide, mon estomac était de plus en plus vide, la douleur dans mon épaule et mes côtes s'amplifiait à chaque pas.
Je suis allé inspecter les dégâts. Ataraxie est totalement détruite. Il n'y a rien à sauver. Les grimoires sont perdus, malédiction ! Il va falloir tout reconstruire.
Ma mère m'a dit que j'allais affronter des défis au cours de ce voyage et que je devais affirmer mon autorité. Décider du sort de Conny constitue un premier défi.
Non, je ne pouvais pas commencer ma lettre de cette façon. Je déchirai le haut de feuille et recommençai.
Maître Nihil...
Non, c'était idiot. Maintenant que j'avais quitté Wellmet, ce n'était plus mon maître, si ? Je déchirai encore un bout de feuille et recommençai.
Nihil,
Je m'arrêtai. Oui c'était un bon début. Mais j'écrivais affreusement mal. Et Nihil s'énervait quand il n'arrivait pas à me relire. Je déchirai une nouvelle bande de papier.
Zut, j'avais fait des pâtés. La feuille était toute sale. J'en déchirai un bout et recommençai.
Nihil, écrivis-je en m'appliquant. Et ensuite ?
Zut ! Je n'avais plus assez de place sur la feuille.
Au bout d'un moment, je perdis de vue le convoi. Je m'étais arrêté pour observer un lézard sur un mur blanc, pendant que les autres continuaient leur chemin.
Le seigneur de la ville nous a accueillis chaleureusement dans un salon frais, rempli de plantes vertes et de fauteuils confortables. Un amas de coussins était recouvert d'une sorte de fourrure. En regardant de plus près, j'ai découvert qu'il s'agissait de chats blancs aux yeux roses pénétrants, aux longues queues qui ondulent comme des serpents.
Un petit lézard rampa sous le plafond du couloir, telle une araignée, et se tapit dans un coin. Il y en avait partout, de ces lézards. À l'instar des oiseaux noirs de Wellmet, peut-être qu'ils observaient tout ce qui se passait pour le compte de la magie de la ville.
Si tu lis cette lettre, cela signifie que ma tentative avec l'oiseau a été couronnée de succès. J'espère recevoir de ta part au moins une lettre tous les cinq jours, par le même biais.
Le roi-sorcier ne portait pas sa locus magicalicus sur une chaîne autour de son cou, par-dessus ses vêtements. Mais je remarquai qu'une de ses mains restait enfoncée dans la poche de sa longue veste blanche. Peut-être que sa pierre s'y trouvait. Si je parvenais à tromper la vigilance des gardes, ce serait un jeu d'enfant ensuite de la substituer.
Ce qui me paraît louche, c'est que la porte de ses appartements est fermée à clé.
Un vrai magicien n'utiliserait pas plutôt un sort, Nihil ? Comme vous le faites pour vos grimoires et comme le font les magistères pour verrouiller les portes des îles ?
Mes conversations avec le roi-sorcier sont frustrantes. Il est accueillant et chaleureux, mais il ne répond jamais clairement à mes questions. De son côté, le magistère Nimble affirme que Lord Jaggus a répondu à toutes ses interrogations sur la magie de Desh ; il en conclut que notre hôte n'est pas coupable d'avoir envoyé les Ombres à Wellmet.
Je suis de plus en plus convaincue que Nimble est un imbécile.
D'un geste vif, il saisit le lézard dans son poing et le jeta à terre. Avant que le pauvre animal ait le temps de filer, Jaggus l'écrasa sous sa botte. J'entendis craquer les petits os.
C'était une pierre précieuse, comme la mienne autrefois, mais ronde et polie, d'un rouge profond qui évoquait une vieille tache de sang. Elle reposait dans une petite flaque de noir-argent aux reflets violets, qui grésillait.
Jaggus allait envoyer des hommes à ma poursuite, sans aucun doute. Et ils finiraient par suivre ce chemin, eux aussi. Toutefois, je ne pouvais pas quitter la piste, si je ne voulais pas être déchiqueté par les buissons d'épines.
J'aperçus une tache sombre qui tremblotait dans la chaleur montant du sol. Je mis ma main en visière et plissai les yeux. La tache noire semblait tressauter sur la route.
Les silhouettes sombres des hommes se découpaient sur le fond du soleil couchant. Quand ils approchèrent, je constatai avec effroi qu'ils portaient l'uniforme des soldats du roi-sorcier.
Je glissai un peu plus bas, de façon à m'allonger sur le sol, la nuque appuyée contre le mur. Même si je me demandais avec angoisse quel sort m'avait réservé Jaggus, j'étais trop fatigué pour rester éveillé. Mes yeux se fermèrent et je m'endormis.
Oh ! Cette angoisse que j'avais ressentie à l'approche de la forteresse, c'était un être magique. Voilà ce que Jaggus était en train de me dire. Mais de la magie sans cité ? Non ça n'allait pas. Ça ne pouvait pas exister. Je ne comprenais pas.
Dix jours se sont écoulés depuis ta dernière lettre. Je suis obligé d'en conclure que tu n'as pas tenu ta promesse de m'informer de l'avancée de tes recherches, ou bien que tu t'es fourré dans le pétrin à Desh, et que tu es dans l'incapacité de m'écrire.
Cette deuxième nuit seul dans les ténèbres fut plus terrible que la première. J'étais une sorte de linge mouillé que la magie abominable ramassa par terre et essora jusqu'à ce que je sois sec, avant de m'étirer énergiquement pour me réduire en lambeaux. Elle s'introduisit dans ma tête et me fit penser à tous les malheurs que j'avais connus.
J'ouvris la porte qui donnait sur la cour. La pluie avait cessé et les nuages s'étaient dispersés, si bien que la lune, presque pleine, dessinait des ombres dans la demi-obscurité. Une nuit idéale pour fureter.
Silver et moi avons réussi à tenir en respect les gardes de la forteresse et les Ombres, puis nous avons gravi à toutes jambes l'escalier en hélice qui mène à la pièce située au sommet de la tour. Là, nous avons trouvé Conny, couché sur le rebord d'une fenêtre, le corps à moitié dans le vide.
Je marchais en queue de cortège et repensais à tout ce qui s'était passé dans la forteresse de Jaggus. Surtout, je me demandais si la magie de Wellmet m'avait choisi parce que j'avais été seul à un moment de ma vie. Mon sentiment était que Jaggus avait tort sur un grand nombre de points, mais là, il avait raison.
Notre magie a peur, mais elle ne peut rien faire d'autre qu'attendre. Elle compte sur nous pour l'aider. Elle connaît l'existence de la magie abominable car celle-ci a aidé Falsetto et Corneil à construire leur redoutable machine. C'est elle également qui a envoyé les Ombres nous espionner, pour savoir si notre magie était affaiblie, et pour nous attaquer afin de terroriser les habitants de Wellmet.